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Allons-nous vers la libération de l’ancien Président du Tchad Hissein Habré condamné à vie par les Chambres Africaines Extraordinaires ? Ses avocats viennent d’envoyer une lettre au Président Macky Sall en soulignant en gras le cas du Magistrat Amady Diouf. En vérité, la présence de ce magistrat dans la Chambre a rendu irrégulière la condamnation du Président Habré. Car il ne remplit pas les conditions pour siéger dans cette cour. Les avocats d’office se sont engouffrés dans cette brèche pour déposer un recours en annulation de la condamnation.
C’est le 28 juin 2016 que les Avocats d’office Me Mbaye Séne et ses confrères ont adressé à la Chambre d’Assises une demande de sursis à statuer en soulevant la question de l’irrégularité affectant la composition de la Chambre Africaine extraordinaire par la présence en son sein, d’un de ses membres titulaires, nommé en violation des dispositions de l’’article 11 alinéa 5 du statut et de la Loi Organique N92-27 du 30 Mai 1992 portant statut des magistrats. En effet, l’article 11 dispose que les juges sont choisis parmi les personnes ayant exercé les fonctions de juge pendant au moins 10 ans... Or, il ressort à l’examen de la carrière professionnelle de M Amady Diouf, que celui ci n’a jamais occupé les fonctions de juge pendant ses 25 années d’exercice dans le corps de la magistrature. Dés lors, la nomination comme juge titulaire au sein de la Chambre Africaine d’Assises de M Amady Diouf constitue une irrégularité qui affecte gravement la composition de la chambre et qui invalide la sentence du 30 mai 2016 condamnant le Président Habré à la prison à perpétuité.
Il revient donc impérativement à la Chambre d’Appel de trancher cette question cruciale qui met en cause la crédibilité de la justice et les droits fondamentaux de la défense. Par conséquent, la Chambre d’Assises ne saurait poursuivre l’examen des demandes portant sur les intérêts civils. Rebondissement donc dans cette affaire très embarrassante pour les Chambres, d’autant plus que les réponses apportées par le Ministre de la justice ne répondaient pas à la question de savoir si les deux conditions posées par l’article 11 du statut des Chambres ; à savoir être juge et avoir exercé pendant 10 ans, étaient remplies par M Amady Diouf. La défense du Président Habré avait même défié le Ministre Sidiki Kaba de rendre public le curriculum vitae du magistrat Amady Diouf. « Pendant ces 25 années de carrière, M Amady Diouf n’a jamais été juge, n’a jamais rendu une décision de justice » disait l’Avocat du Président Hissein Habré, Me Ibrahima Diawara. Devant l’inertie du Ministre de la Justice et la fuite en avant de la cellule de communication des Chambres, Me Diawara et ses confrères ont pris l’initiative d’écrire une lettre au Président Macky SALL et de mettre à sa disposition le dossier administratif de M Amady Diouf afin que la vérité soit connue et que les conséquences soient tirées.
Aujourd’hui, avec cette requête des avocats d’office, la question de l’irrégularité de la composition de la Chambre d’Appel sera donc tranchée par la Chambre d’Appel qui, rappelons le, n’est pas encore officiellement mise en place. Selon la cellule de communication des CAE, sa mise en place est prévue pour fin septembre. Dans leur requête, en appui, les avocats d’office ont cité plusieurs arrêts de la Cour Suprême du Sénégal et des arrêts de la jurisprudence internationale frappant de nullité absolue toute décision prise par un tribunal composé irrégulièrement.
Par ailleurs, le Sénégal s’est engagé à organiser un procès juste et équitable conformément aux impératifs de son système démocratique et à ses idéaux de justice. Or, comme l’ont toujours déclaré les avocats du président Habré au cours de leurs sorties, « le procès juste et équitable exige d’une part, qu’il soit l’œuvre d’une juridiction légale, libre et indépendante, et d’autre part, le respect des règles procédurales et des droits des parties et ce, durant toutes les étapes de son déroulement, du début à la fin ». Plusieurs fois, les avocats de l’ancien président Tchadien ont soutenu qu’un procès pénal doit respecter l’ensemble des principes et règles qui le régissent. C’est lorsque ces conditions sont remplies qu’on parlera de procès juste et équitable. Et ceci aboutira au respect des décisions de justice par tout justiciable.
A cela, il faut ajouter que la composition d’une juridiction est un des éléments fondamentaux, l’une des garanties essentielles du procès juste et équitable. « C’est pour cela que la loi exige des magistrats ; respect de la loi, indépendance et impartialité dans l’exécution de leur mission de juger, c’est-à-dire décider du sort de personnes dont la vie, la liberté, leur sécurité sont en jeu » estime l’un des avocats du Président Habré. Les conseillers de Habré estiment que cette violation de l’article 11 des Statuts des Chambres est imputable à Monsieur Sidiki KABA, Ministre de la Justice qui selon eux n’a pas respecté les procédures. Pour eux,la conséquence immédiate d’une telle violation est que toute décision prise par la Chambre Africaine Extraordinaires d’Assises est nulle et d’une nullité absolue. Deux arrêts de la Cour Suprême N°108 en date du 01 juillet 2010 et N°137 du 04 novembre 2010 l’ont confirmé.
Enfin, les avocats d’office ont exploité cette faille remarquée dans la nomination du Magistrat Amady Diouf pour déclarer invalide la sentence rendue le 30 mai condamnant le Président à perpétuité et demander à la Chambre d’Appel de statuer sur l’affaire Amady Diouf. Quant aux avocats du Président Habré, ils attendent que le Président Macky SALL démontre qu’il est soucieux de faire respecter l’Etat de droit au Sénégal.
Par Cheikh GUEYE
Quotidien Jour-J Info n°009 du 10 juillet 2016